numéro un, paru en mars 2001

 

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LA BD SF DU CALVA...

 

 

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AGRICULTURE : INTERVIEW DE G. BESSIN

 

Le 31 janvier 2001 ont eu lieu les élections aux chambres d'agricultures de France. La F.N.S.E.A, majoritaire jusqu'à présent, l'est encore à ce jour. Néanmoins, la Confédération Paysanne se présente comme outsider principal pour ces élections. Cette interview a été réalisée peu de temps avant ce suffrage. Les résultats sont encourageants pour ce syndicat : dans la Manche 46.39% des actifs et 55.56% des retraités et en France, 27.8%. Nous lui souhaitons un long avenir.

 

LE CALVA LIBÉRÉ : Quelle est la position de la Confédération Paysanne sur les farines animales et leur interdiction totale ?

G. BESSIN : Depuis 1990, la Confédération Paysanne demande l’interdiction totale des farines animales, interdites ces dernières années uniquement pour les ruminants, et encore autorisées pour les volailles et les porcs. Depuis la crise de la viande bovine, l’interdiction est totale. Si la Confédération Paysanne demande cette interdiction, c’est parce que dans un secteur marchand, concurrentiel, on ne peut faire confiance aux industriels pour cloisonner complètement les filières. A partir du moment où on peut mettre des farines animales dans des aliments et que cela coûte moins cher que d’autres sources de protéines, il y a toujours des petits malins qui profitent du manque de cloisonnement pour mélanger les aliments, ce que l’on appelle la contamination croisée. Beaucoup d’éleveurs n’ont pas utilisé de farines de façon intentionnelle. Pour ceux qui achetaient de l’aliment ces dernière années, ils étaient confronté à la contamination croisée. La principale conséquence est le manque à gagner pour les filières d’équarrissage et d’abattoir. Cela engendre un coût qu’il faut bien répercuter quelque part. Une autre conséquence est la crise de la viande bovine qui empêche les petites et moyennes exploitations de vendre leur viande. Dernière conséquence : crise de confiance des consommateurs. Or, les décisions prises par les pouvoirs publics ne répondent pas aux attentes des producteurs. Pour bénéficier de certaines aides, il faut être producteur spécialisé à plus de 50% et endetté pour avoir des mesures d’allègement des charges d’intérêts. Pour la Manche, 4 Millions de francs à diviser par mille producteur, donc 4000 francs par producteur en moyenne, ce qui est insuffisant. Un des problèmes, ce sont les petits producteurs qui vendaient une vache ou un bœuf en fin d’année, qui leur permettait d’augmenter leurs revenus. Ces gens là n’ont rien et sont exclus. Ce que la Confédération Paysanne demande, ce sont des aides directes aux éleveurs car ils sont victimes et non responsables de la crise, ils n’ont pas à combler le manque à gagner. Nous préconisons une aide de 2000 francs par animal vendu ou qui sera vendu dès que le marché se remettra un peu en route. Mais les prix ne sont pas près de trouver des cours rémunérateurs. L’interdiction des farines animales a rassuré les consommateurs, mais le problème, c’est qu’une interdiction en l’an 2000 n’équivaut pas à 0 cas de vache folle par la suite car l’incubation de la maladie est d'au moins cinq ans. Il faut être capable de l’expliquer de façon sereine aux consommateurs. Un des problèmes, c’est que toute la filière a été mise en cause quelque soit les façons de produire, alors qu’il y a plus de risques à acheter des viandes d’origine industrielle que des viandes d’animaux élevées à l’herbe et qui n’ont quasiment pas mangé d’aliments. Ce qui fait la qualité de la viande rouge, c’est la façon dont sont élevés les bovins, la maturité de la viande donc l’âge. C’est un élevage à croissance lente d’au moins trois ou quatre ans. Dire que les bovins de moins de trente mois ne présentent pas de risques favorise un système intensif donc à croissance rapide. Les animaux issus de cet élevage n’étaient pas jusqu’alors consommés en France, tout partait à l’exportation en Italie essentiellement, en Europe et en Extrême-Orient. Suite à la crise de la viande bovine, ces pays ont stoppé les importations. Ces animaux sont restés sur le marché français.  On favorise leur vente en mettant le doute sur les bovins âgés de plus de trente mois pour sauver la filière bovine. Le test de dépistage systématique était demandé en particulier pour les animaux nés dans les années 1995-1996, car on sait qu’il y a eu importations illégales de farines de viande anglaises en France. La plupart des cas de vache folle en France arrive sur des bovins nés entre 1993 et 1996, des années à risque, donc dépistage systématique. On peut dire que d’ici quatre ou cinq ans, le phénomène devrait s’estomper.

 

C.L. : Que pensez-vous de l'abattage complet d'un troupeau lors de la découverte d'un cas de vache folle dans un cheptel?

G.B. : La Confédération Paysanne propose l’abattage sélectif : c’est-à-dire abattre l’animal malade lorsqu’un cas se présente dans un troupeau, les animaux qui sont susceptibles d’avoir mangé les mêmes aliments que la vache malade, éventuellement les vaches de l’année précédente et suivante pour rassurer un peu plus et les descendants de cet animal malade car il existe une hypothèse de transmission intra-utérine. Le reste du troupeau resterait sous haute surveillance et serait écarter des filières alimentaires.    

            Cette solution permettrait de suivre l’évolution de la maladie pour savoir si les autres animaux la développent. Cela n'a jamais été fait en France. L’école vétérinaire de Lyon qui avait gardé un troupeau dans cet objectif, s’est vue contrainte de le faire abattre suite aux pressions du CDJA (Confédération Départementale des Jeunes Agriculteurs, NDLR) et des élus locaux, alors que les pouvoirs publics voulaient expérimenter. Depuis, plusieurs éleveurs ont refusé l’abattage total suite à un cas déclaré. Dans les semaines à venir, cette technique sera remise en question grâce à l’apparition du dépistage systématique. Les problèmes de l’abattage sont le renouvellement du troupeau car il y a moins de vaches disponibles sur le marché. 90% des chercheurs pensent que la maladie n’est pas contagieuse, mais qu’ elle se propage par l’alimentation. Or, tous les animaux d’un même troupeau n’ont pas forcément mangé les mêmes aliments. Il faut aussi parler du traumatisme psychologique pour l’éleveur, l’abattage correspond à une négation totale de son travail sur plusieurs années. De plus, les indemnités couvrent tout juste le manque à gagner, et comme elles sont intégrées au revenu, elles deviennent imposables.

 

C.L. : Quelle est la situation de la Confédération Paysanne en France et dans la Manche avant les élections aux chambres d'agricultures?

G.B. : La Manche est un des départements où la confédération paysanne est très bien implantée, comme dans les autres départements de l’ouest. Elle existait avant la vague médiatique autour de José Bové et existera encore pendant un certain temps, j’espère que José Bové aussi. Dans le milieu agricole, ce qui sert à mesurer l’influence d’un syndicat, ce sont les élections à la Chambre d’Agriculture qui ont lieu tous les six ans. Elles auront lieu le 31 janvier 2001. Lors des dernières élections de 1995, on a fait 34% des voix dans le département. A l’époque, quatre listes se présentaient, cette fois, il n’y a plus que deux listes: FDSEA (fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles), CDJA et la liste Confédération Paysanne. Les électeurs vont avoir un choix honnête et clair entre deux modèles de production, ce qui rend le scrutin d’autant plus intéressant. Nous présentons une liste de 23 personnes, des hommes et des femmes du département, dans les différentes productions. Des gens qui n’ont pas d’ambition politique, qui veulent défendre un modèle d’agriculture. Des gens qui ont fait les preuves de ce modèle sur leur exploitation, puisque dans le cadre de la campagne électorale, on a essentiellement fait des fermes ouvertes au lieu de faire des réunions dans les salles municipales. Les candidats ont présenté leurs exploitations en termes de façon de travailler, de philosophie et de résultats technico-économiques. On est capable de dire que notre modèle marche, que les gens en vivent, et sans beaucoup d’aide publique. Ce sont des exploitations qu’on appelle autonomes, donc autonomes vis à vis de l’agro-alimentaire en termes d’approvisionnement, et vis à vis des aides publiques. On a envoyé un 4 pages à l’ensemble des électeurs  inscrits et on a eu un très bon retour, en termes de soutien et d’adhésions. On est  assez surpris de  la participation lors des fermes ouvertes, où il y a eu beaucoup de monde. On a le moral, on peut gagner.

 

C.L. : Et à propos de José Bové et de sa médiatisation, ou sur-médiatisation?

G.B. : José Bové existe depuis longtemps et ce qu il fait aujourd’hui il l’a toujours fait. Il avait les même méthodes d’actions, c’est-à-dire des actions non-violentes, médiatiques, avec une forte implication de la population locale ou des acteurs locaux. Ce qu’ils ont fait au travers du Mc Do était lié à la tentative des U.S.A. d’obliger l’Europe à importer de la viande bovine américaine aux hormones. Le refus de la France a entraîné des mesures de rétorsion de la part des U.S.A. Ce qui a fait la médiatisation de José Bové c’est qu’il a été emprisonné suite à un action syndicale. En voulant lutter contre José Bové et ce qu’il dit , le juge n’a fait que renforcer son action. Dans la Manche, il y avait encore des paysans qui n’avaient jamais entendu parler de la Confédération Paysanne. Maintenant, plus personne ne l’ignore. Le milieu paysan est un milieu difficile à remuer qui n’est pas toujours progressiste. C’est un travail de longue haleine. Au travers d’A.T.T.A.C, ça va beaucoup plus rapidement que ce qui se passe dans le milieu paysan. C’est vrai que la Confédération Paysanne est majoritaire dans l’opinion publique, dans le projet d’agriculture qu’on propose, notre défi c’est de convaincre les paysans. Nos détracteurs disent que notre agriculture c’est celle de grand-papa. On a voulu démontrer au travers des fermes ouvertes, que l’agriculture qu’on propose ça n’a rien à voir. Au contraire, c’est complètement innovant. Ce sont des systèmes qui font vivre du monde et utilisent de la main d’œuvre. On démontre que, sans avoir de grandes capacités de production, plusieurs personnes, un couple ou un G.A.E.C. peuvent en vivre. C’est ce qu’on appelle la maîtrise et la répartition des productions. Cela permettrait de maintenir un nombre élevé d’agriculteurs dans le département. Il faut savoir que lors des élections à la Chambre d’Agriculture en 1995, il y avait plus de 19000 inscrits, aujourd’hui il n’y en a plus que 13500. Une érosion significative. C’est aussi ça que l’on met en avant dans ces élections. Si nous continuons comme ça, combien seront nous dans six ans? Lorsque des exploitations grossissent et vont chercher des terres à plusieurs kilomètres, le pâturage, c’est terminé. C’est forcément le développement du maïs ensilage, avec toutes les conséquences que ça a sur l’environnement. On le voit bien en ce moment avec les problèmes de nitrates, de pesticides, l’érosion, les inondations… Le modèle de production, la façon dont les gens produisent et les conséquences sur l’environnement dépendent directement du nombre de paysans.

 

C.L. : Qu'est ce que pense la Confédération Paysanne sur les OGM, et sur les conséquences de l'interdiction des farines animales sur la production d'OGM en France et dans le monde.

G.B. : Il faut savoir que les firmes ont mis en place les O.G.M.(organismes génétiquement modifiés ) depuis assez longtemps, principalement dans les pays du sud. On a vu des paysans indiens il y a deux ans maintenant. Ils nous expliquaient les conséquences désastreuses qu’avaient eues les O.G.M.chez eux (en particulier sur le coton et le riz). Dès lors qu’ils achetaient des semences O.G.M, ils étaient obligés d’acheter tous les produits de traitement qui vont avec. Donc, les coûts de production ont augmentés alors que les rendements n’ont pas suivis. Aux U.S.A. c’est le même phénomène, il s’avère qu’il y a un très fort recul cette année des mises en place de cultures O.G.M. En France c’est la même chose, ceux qui ont voulu préconiser les O.G.M. ont échoué. Il y a eu lors des dernières mises en culture, en 2000, à peine une centaine d’hectares alors qu’ils misaient sur plusieurs milliers. On peut considérer que c’est un échec et on s’en félicite. C'est une conséquence des farines animales, mais ça c'est le problème de la politique agricole européenne, qui est le fruit de négociations entre les U.S.A. et le reste du monde. On a dévoué à l'Europe la production de céréales, donc d'énergie, et aux U.S.A, la production de soja , de protéines. C'est comme ça que se sont mises en place les primes P.A.C. Il fallait compenser le déficit en protéines or, sur le marché, les seules ressources étaient les farines animales ou le soja. Dés lors qu'on continue à faire du maïs, alors que les farines sont interdites, on est déficitaire en matière azotée et en protéines. On se retourne alors sur le marché et on y trouve plus que du soja, pour une bonne part, du soja transgénique. Il existe un manque de recul. Quand on met, par exemple, un médicament sur le marché, l' étude d'autorisation de marché dure dix ans. Le problème des O.G.M, c'est qu'on a pas mis dix ans à étudier les conséquences. Il y a d'autres conséquences en termes de pratique sur le terrain. Quand ils ont développé les O.G.M. de résistances aux  biphosphates. Le plan de soja devient insensible aux produits, mais les mauvaises herbes aussi. Elles deviennent indestructibles. Cela aussi représente  un  risque. Tout ça  se dissémine par la pollinisation... On n'en mesure pas encore tous les effets. Actuellement les O.G.M. en culture, ça n'apporte rien à personne. Il n'y a pas besoin d'augmenter la production, on croule sous la surproduction en Europe. Les O.G.M. ne diminuent pas la pollution puisque, dès lors qu'on le plante, il faut y apporter des produits adaptés. Enfin, pour que le sud se développe, il faut lui donner les moyens de produire et de consommer lui-même.

 

Propos recueillis par Pierre Dubos, Franck et Rudy L'Orphelin.

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