numéro un, paru en mars 2001

 

SOMMAIRE  HISTORIQUE CALVA N°0 CALVA N°1 CALVA ASSISES E-MAIL

LA BD SF DU CALVA...

 

 

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DOSSIER

 

 

 

AFFAIRE EL OUARDI

OU CHRONIQUE D’UNE BANALISATION DE L’ATTITUDE RACISTE

 

La fierté affichée des partisans de l’accusé lors du procès à Coutances (qui comptait dans ses rangs Marie-France Stirbois et Le Rachinel) est caractéritique d’une institution qui de par son colportage d’idées fascisantes va donner une légitimité à l’agression et à l’agresseur. Quant à savoir si l’extrême droite institutionnalisée est la condition sine qua non de l’idée raciste en soi, il serait difficile d’y répondre. Quoiqu’il en soit et dans le cas  de cette affaire, le F.N. en portant sur ses épaules la justification d’actes répréhensibles prouve que le racisme sans point d’appui est le résultat d’une misère spirituelle, racisme qui,  bien que significatif et intolérable, reste moins nuisible et pour peu d y’être attentif est plus à même de se contrôler, peut-être de s'endiguer.

            Bien plus qu’une simple justification de l’injustifiable, le FN se saisit de l’affaire dans une optique de propagande. Soutenir un pauvre type raciste figure parmi les activités de prédilection du parti. En bon samaritin, soucieux de la liberté de tous ses concitoyens, Le Rachinel (qui a payé  l’avocat de la défense) conçoit comme un devoir de défendre tout homme susceptible de hisser les couleurs du F.N. A aucun moment, l’homme -Pouillot- n’intéresse le FN Il n’est qu’une occasion offerte à un parti fasciste en perdition de  retrouver un instant le devant de la scène médiatique. En légitimant ce type d’attitudes, le F.N. banalise  la haine de l’autre et tend à rendre indiscutable la nécessité de son existence. Voilà pourquoi cette affaire mérite votre attention : elle met en avant la perversité de la stratégie de l’extrême droite et interroge à nouveau l’authenticité de sa reconnaissance.

            Cest celui-là, le plus teigneux, ce racisme qui ronge, ce racisme ravageur d’esprit. La haine de l’autre qui caractérise sa propre misère. Celui du quotidien s’inscrivant presque dans la banalité, confondant race humaine et genre humain, arrachant au monde sa dignité... Et il existe bel et bien comme un feu étouffé se  rallumant au moindre souffle de vent.  

 

Rudy L'Orphelin

Alexandre Henrye

C’est arrivé près de chez vous : 

Page 4 et 5 : une article « avant-goût » qui vous présente les détails de l’affaire

 

Première Inteview p. 5 ,6 et 7 :

      Nous accueillons Abdel El Ouardi dont vous avez probablement entendu parler. Abdel est prof d’anglais au lycée pasteur, il est marié et a deux enfants. En mai dernier il se faisait agresser dans un café de Saint-Jean des Baisants pour avoir commis le seul crime d’être d’orignine marocaine. Il débarque rue démolombe dans un 12 m² second siège du Calva...

 

Deuxième interview : p. 8, 9 et 10 :

Maitre LOSQ, avocat de la victime nous reçoit dans son cabinet

 

 

                                                                                                          DOSSIER

 

 

C’est arrivé près de chez vous

    Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, il semble que tous les malheurs du monde arrivent uniquement aux autres et pourtant, cette année, un homme a été menacé de mort et injurié pour avoir pris un café dans un commerce d’un petit village que vous connaissez bien : Saint-Jean-des-Baisants. En effet, c’est arrivé près de chez vous. Après tout, s’emporter pour une boutade, des conflits de famille, de voisinage, pourquoi pas ? Mais ici, il est difficile d’admettre les termes qui suivent: «sale bougnoule», «on va nettoyer Saint-Jean-des-Baisants des arabes», et même poussons le vice plus loin «je vais te tuer sale bougnoule» selon les dires de la victime, qui, harcelée depuis plusieurs mois, dépose plainte le 19 mai 2000. Le tout est confirmé par le patron du commerce. Il ne serait pas imprudent de qualifier ces termes de menaces et injures en raison de la couleur de peau de notre victime, Abdel El Ouardi, professeur d’anglais depuis 4 ans dans la Manche, d’origine marocaine. Quel bel accueil nous lui faisons là. Heureusement, M. Pouillot, notre auteur, concède devant le Président du tribunal s’être peut-être emporté : «j’ai peut-être dit sale arabe comme on m’avait dit sale français». S’agirait-il d’excuses, de regrets ? Aucunement. L’affaire commence et n’est pas terminée. Le 19 mai, l’enseignant porte plainte . L’action publique se met en marche. Le procès se prépare dans les coulisses et la politique s’invite au tribunal. Cela n’empêchera pas la justice de faire son travail

 

 

Première partie : La politique s’invite au tribunal

    

    Le 18 juillet, Fernand Le Rachinel, conseiller général de Canisy, député européen et responsable du Front National dans la Manche, se propose de supporter l’ensemble des frais de la procédure, et ce à titre personnel. L’homme est d’importance; il fait du procès d’Alain Pouillot une cause légitime et de l’auteur un martyre, tel Voltaire pour l’affaire Calas ou Zola pour le Capitaine Dreyfus. «Je connaissais la fille d’A.Pouillot, Miss Manche. Elle a sollicité mon aide. Quand quelqu’un me demande un service, je le rends sans hésitation ! »; Trop aimable, votre ami en aura bien besoin. Le Front National, dont la bienveillance est exemplaire, soutient la « victime » avec force. M. Marcel Ceccaldi, directeur adjoint des affaires juridiques du F.N., accompagné d’un avocat du barreau de Paris, en toute logique bien français, Maître Nicolay Fakiroff, se déchaîne pour la défense, multipliant les phrases préparées, telles «manipulation», «instrumentalisée par le MRAP», «complots», «une affaire exemplaire: c’est l’exemple même du bâillonnement de la France», et les diversions de toutes sortes dont le rapport avec l’affaire apparaît bien léger. M. Fakiroff rappelle devant le tribunal «l’agression dont a été victime ce dernier à la suite de son intervention, quelques jours plus tôt, alors qu’il tentait de porter secours à une personne âgée, attaquée par une bande dans un immeuble de la Dollée, un quartier de Saint-Lô». Mais comparaison n’est pas raison. L’homme en noir assis sous la balance intangible de la justice n’est pas dupe. La défense a beau minimiser une affaire qui ne repose selon elle que sur «des propos de café», la sanction, telle l’épée de Damoclès, se dessine à l’horizon. 

    M. Pouillot, soutenu par 600 signatures, fait décidément figure de bon élève. «C’est une affaire montée en épingle par un lobby local bien identifié» dit-il. Ce lobby local, Monsieur, est soutenu par Ligue des droits de l’homme, Fédération des oeuvres laïques, Cercle Condorcet, MRAP, Citoyen à St-Lô, Francas, Gauche Plurielle, CGT, CFDT, FSU, CSF, ACAT, SUD, PTT, FEN, UNSA, Agneaux Ensemble, Amnesty International et enfin SOS Racisme, et bien d’autres que j’oublie. Cette localité semble se résumer au monde entier lorsque l’on découvre l’importance d’Amnesty International à travers la planète. Par ailleurs, ce même lobby est soutenu par l’ensemble de la classe politique. Le 29 mai 2000, le maire de la commune, Roger Croquevieille, fait adopter une motion soutenant l’action menée par M. El Ouardi devant la justice : «devant ces actes inqualifiables, le Conseil Municipal apporte soutien et sympathie à l’action courageuse entreprise par M. El Ouardi. Ces faits violents sont l’œuvre de quelques personnes en majorité extérieures à Saint-Jean-des-Baisants : le Conseil Municipal fait confiance à la justice pour faire cesser ces actes. M. Abdel El Ouardi est un citoyen de la commune à part entière». Jean-Luc Cohin chez les Verts soutient que «l’extrême droite, même divisée, est toujours prête à justifier l’inqualifiable». M. René André, député maire d’ Avranches, affilié au RPR, ajoute que «le racisme est une tare qu’il faut dénoncer en permanence. Il n’est jamais excusable, jamais acceptable.» Le PS note encore que «le racisme n’est pas une opinion mais un délit.»Le soutien à un homme dont le courage est à féliciter fait chaud au coeur, au même titre que ce combat mutuel et continu contre le racisme, la peur et la haine. Notre société a tranché la tête des discriminations raciales trop souvent banalisées dans nos villes et nos campagnes. Messieurs les fascistes, tenez-vous bien! 

    Mais la justice n’est pas la politique. Troquons nos fourches et nos bâtons pour la robe et l’hermine. Il s’agit de juger un homme au pénal devant le Tribunal Correctionnel de Coutances pour un délit et une contravention, dont relève respectivement les menaces de mort et injures raciales.

 

 

 

Deuxième partie : le travail de la justice

 

 

    .Pouillot est gardé à vue puis relâché. Il est poursuivi pour menaces de mort et injures raciales. L’article 222.17 du code pénal incrimine les menaces de commettre un crime ou un délit contre les personnes, punies de 6 mois d’emprisonnement et de 50000 francs d’amende lorsqu’elles sont soit réitérées, soit matérialisées par un écrit, une image ou tout autre objet. Le fait de passer son pouce sous sa gorge pour mimer un acte d’égorgement constitue une menace par image (propos du commerçant dans sa déposition). De plus, et de façon moins délicate, le seul fait de dire «je vais te tuer sale bognoule» constitue une menace de mort, réprimée plus sévèrement par l’alinéa 2 du même article augmentant la peine à 3 ans d’emprisonnement et à 300000 francs d’amende pour l’infraction spécifique de menace de mort. En l’espèce, cette qualification est retenue par le tribunal. Pour la seconde qualification retenue, à savoir, injures raciales, cette incrimination relève d’une contravention (R 621-2 du code pénal) selon laquelle « l’injure non-publique envers une personne lorsqu’elle n’a pas été précédée de provocation est punie de l’amende prévue pour les contraventions de première classe ». Cependant, l’article R 624-4 du code pénal apparaît plus adapté en la matière «à raison de leur origine ou de leur apparence à une ethnie». Cette incrimination est punie d’une contravention de quatrième classe. En réalité, cette qualification a surtout un caractère symbolique dans le procès.

La défense, le 25 juillet 2000, doit faire face à l’action publique (action du Parquet représenté par le substitut du procureur de la République) et l’action civile composée du demandeur M. El Ouardi, du MRAP représentés par Maître Losq, avocat St-Lois au Barreau de Coutances et de la Ligue des droits de l’homme par Maître Petit Etienne (associations intervenues en application de l’article 2-1 du code de procédure pénale). Il stigmatise les idées racistes : «idées qui sont un danger en elles-mêmes et par le risque d’aller au delà des paroles qu’elles représentent. Ce genre d’idées entraîne des drames, la seule façon de faire cesser ce type de comportements, c’est d’en parler comme nous le faisons aujourd’hui et que ces gens soient jugés» a-t-il plaidé, en concluant «Le monde est un petit village et chacun a droit au respect». Le substitut du procureur requiert 6 mois d’emprisonnement dont 4 avec sursis et une amende de 4000 francs contre A.Pouillot. L’affaire est mise en délibéré. M. l’Accusé sort du tribunal « mains propres et tête haute », applaudi par son comité de soutien. Le 12 septembre dernier, le jugement confirme sur les deux fondements retenus que cet individu a attaqué un citoyen français au nom d’une idéologie xénophobe. Il supplante les réquisitions du substitut du procureur en condamnant Alain Pouillot à 6 mois de prison dont 4 avec sursis et 5000 francs d’amende, le condamne aux dépens de l’affaire et à verser des dommages-intérêts à la victime à hauteur de 8000 F et de 2000F pour les associations parties civiles. Le prévenu exerce son droit d’appel dans les 10 jours à compter de la connaissance du jugement devant la Cour d’Appel en matière correctionnelle. Affaire à suivre. Cependant, les chances de cet homme apparaissent bien minces comparées à l’ampleur électoraliste de ce procès. La condamnation d’un «honnête» homme permettrait-elle de discréditer la justice française aux yeux d'un électorat avide d'imbroglios politico-judiciares?

Pauvres moutons que nous sommes, attention au conseil du berger qu'il soit bon ou mauvais, lui saura où est son intérêt. Si un jour, vous même, vous vous trouvez pris dans les méandres de la justice française et que l'on vous propose une aide gratuite, spontanée, par pure bonté , pensez à regarder, sous sa chemise, le cou de votre interlocuteur. Peut-être est-il pelé, tel le cou du chien qui s'était fourvoyé par mégarde dans la fable de La Fontaine. Le loup et le chien. Relisez-le c'est un grand classique.

 

Olivier Lehoux


 

                                                                                                                   DOSSIER


INTERVIEW DE M. ABDEL EL OUARDI

 

Le Calva Libéré : Pouvez nous relater les faits ?

Abdel El Ouardi : Oui, j’étais invité par un parent d’élève que j’avais pris en stop. En arrivant au village, il m’a invité pour prendre un pot. En arrivant au café, il y avait les propriétaires et trois personnes au comptoir. On s’est serré la main, c’est l’habitude en campagne. Le troisième, c’est lui qui m’avait agressé le 28 mars. C’est quelqu’un justement qui boit beaucoup et lorsqu’il boit, il est raciste. Il a voulu m’offrir une bière. Je lui ai répondu que je ne buvais pas d’alcool parce que j’étais sous antibiotiques. Il m’avait posé la question de savoir si j’étais marié avec une française et j’ai dit oui. Il m'a répondu : "moi si ma fille se mariait avec un bougnoule je ferais boom au bougnoule et boom à ma fille" Après la dame du café a dit que j’étais un gars très tranquille elle a pris ma défense : "il est père de deux enfants, il ne pose aucun problème" et il a dit "de toute façon il vivra pas longtemps, on va s’occupper de lui et de ses petits lapins" et il y avait quelqu’un derrière lui qui répétait tout le temps la même chose. Ils voulaient même à un moment me taper dans le café mais le chef de la bande attendait (c’est une bande très structurée) et ça m’a rassuré quelque part. L’autre derrière lui a voulu me taper deux fois et il a dit : "Moi je vais arranger le bougnoule". Lui ne voulait pas que cela se passe dans le café. A un moment, je l'ai vouvoyé, et il m'a interdit de le vouvoyer sinon il me cassait la gueule. Après, il m'a tenu un moment. Il s'est mis à parler du droit, disant qu'on avait un gouvernement de merde, avec plein de bougnoules. Il y avait 15 centimètres entre lui et moi, il a continué comme ça, avec des expressions comme "sale arabe", "sale bougnoule". Il maintenait une certaine terreur : " On va nettoyer Saint Jean des Baisants, de toute façon, tu ne vivras pas longtemps. "

 

 

CL : Et cela a duré combien de temps ?

A.EO : Il m'a tenu pendant une demi-heure. Et après, il m'a tourné autour pendant un quart d'heure. Une fois que cela s'est refroidi un petit peu, j'ai demandé à la dame d'appeler la gendarmerie. Elle était tellement terrorisée qu'elle est restée figée. Et elle n'est pas intervenue. J'ai gardé mon calme et je leur ait dit qu'il n'auront même pas le plaisir d'avoir une résistance : "Si vous voulez me tuer, vous allez le faire en une minute, ça ne vous fera même pas plaisir". En quelque sorte, cela les a refroidis. Quand je suis sorti, ils étaient juste à côté, et comme cela s'était refroidi, moi, je pensais pouvoir sortir sans problème. L'un d'eux m'a dit de dégager, l'autre avait relâché sa main. J'ai essayé d'aller vers l'extérieur. Il y en avait deux de sortis dehors : le chef de la bande, un autre qui jouait double jeu et qui était ivre. Celui-ci avait déjà eu des problèmes avec la justice. C'est pour cela que par moment, il allait dans l'autre sens. Malgré cela, ils ont tous participé.

 

CL : Donc pendant tout ce temps là, vous ne pouviez pas sortir du café ?

AEO : De toute façon, j'étais tenu et je ne pouvais pas lui dire qu'il n'avait pas le droit de me tenir. Là, j'ai failli recevoir un coup de tête, je lui ai dit : "Allez-y si cela vous fait plaisir". Finalement, j'ai pu ressortir.

 

CL : Curieusement, au procès, une seule personne a été condamnée...

AEO : En effet, il y a un problème au niveau de la gendarmerie. Surtout au début, parce qu'au début, je suis parti le soir même, et je ne voulais pas porter plainte. Je suis très discret, j'avais l'espoir qu'on en reste au stade de l'avertissement, même s'il s'agissait de menaces réelles. Car il s'agit de quelqu'un de profondément raciste et qui bien chauffé, me trouvant à l'extérieur par exemple en train de pécher pouvait réellement me tuer. Pour ma tête seulement. Au début, je ne voulais pas faire de bruit du tout et quand je suis allé à la gendarmerie après, je leur ait dit que je ne voulais pas porter plainte. Ils m'ont promis qu'ils allaient intervenir, mais j'ai eu la sensation qu'ils me prenaient vraiment pour un gamin. Ils pensaient sûrement que ce n'était pas grave du moment que j'étais encore debout, pas mort. Je pense qu'ils ont peur d'eux, par exemple, lorsqu'ils passent à côté d'eux plein d'alcool, ils ne les arrêtent pas. Ils ne sont pas maîtrisables, ils pensent que s'ils les arrêtent, il va y avoir un réchauffement, probablement de la casse. Quand l'incident s'est produit, deux gendarmes sont intervenus et ils se sont fait reconduire aussitôt. Il y a eu un échange, leur disant : "Nous, on aime pas les gendarmes". Leur discours soutenait qu'ils étaient excités par la présence des armes. Finalement, il y a eu une bagarre au moment où le parent d'élèves est intervenu car l'agresseur prétendait que tous les français sont racistes, ils sont hypocrites donc tu ne vivras pas longtemps ici, à Saint Jean des Baisants. Le parent d'élève, qui a eu le courage d'intervenir, a dit : " Non, moi, je ne suis pas raciste, et je ne le serait jamais". Cela lui a valu 3 côtes cassées, il a été emmené à l'hôpital.

 

CL : Cela signifie que le parent d'élèves a assisté à toute la scène

AEO : Oui, et il a été entendu très tard, une semaine après environ. Le rapport de la gendarmerie fait état de propos racistes à l'intérieur du bar, sans mentionner le rôle de chacun.

 

 

CL : Les personnes présentes au café étaient-elles au procès ?

AEO : Non. Deux ont témoigné auprès des gendarmes tout au début, les autres n'ont pas osé. Seul le parent d'élève a parlé des deux individus qui étaient derrière le chef de bande.

 

CL : Quel chef d'accusation a-t-on retenu au procès ?

AEO : L'injure raciale a été annulée pour un détail : La secrétaire avait tapé un mauvais numéro de la loi. De ce fait, la loi n'existait pas, et ils ont annulé la partie concernant ce sujet et n'ont conservé que celle portant sur les menaces de mort. Parmi les trois témoins qu'on a entendu, un seul l'a été objectivement, il a donné plus de détails et est le seul à avoir invoqué la deuxième personne. L'un des agresseurs n'a pas du tout été entendu. C'est pourtant lui qui, dans le café, lorsqu'on lui a demandé s'il avait le couteau, a répondu : " J'ai pas besoin d'un couteau pour tuer un seul bougnoule ". Il n'était même pas au procès. La justice s'est dirigée vers les deux individus qui posaient le plus de problèmes au sein du village. Le troisième venait juste de sortir de prison. Il fait parti de la bande qui habite chez M. Pouillot. Le procès s'est en fait focalisé sur une seule personne (M. Pouillot). Le deuxième a été convoqué à ma demande et à mes frais, cependant, je ne tiens pas à critiquer le travail de la Justice, car le dossier était loin d'être parfait celui-ci ayant été effectué dans la précipitation, dans l'optique de faire passer cela pour une affaire banale.

 

CL : Pensez-vous que la responsabilité en vient à la gendarmerie ?

AEO : Oui, surtout au niveau de la première partie. Mais après, il y a au moins un témoin qui a invoqué le deuxième agresseur, or, il n'a pas été convoqué par le Procureur. A la gendarmerie, il régnait beaucoup de nervosité, et j'ai vécu un interrogatoire où c'était moi le coupable. Ils m'ont appelé 3 jours plus tard en me demandant qui avait appelé le M.R.A.P. et les journalistes et en me disant que je racontai n'importe quoi. Ils m'ont raconté l'histoire de La Dollée comme s'ils l'avaient véritablement vu.

 

CL : Pouvez-vous nous relater brièvement cette affaire ?

AEO : Apparemment, ils avaient cherché une histoire pour trouver une excuse en faveur de Pouillot, il serait intervenu auprès d'une dame se faisant agressée. Parmi les agresseurs, figuré un noir, au début, on parlait d'un arabe avec qui on m'aurait confondu. On m'a demandé s'il avait parlé de cette histoire à La Dollée. J'ai répondu que non ; en revanche, il me parlait de sa jeunesse à Caen lorsqu'il cassait la gueule aux arabes tout le temps, on a parlé de toutes ses bagarres avec les bougnoules mais il n'a pas du tout évoqué cette histoire.

 

CL : Souhaitiez-vous à l'époque qu'un procès ait lieu ?

AEO : Sur le plan humain, je ne voulais pas faire cela, je voulais qu'on me l'épargne. J'aurais préféré que cela se termine par des excuses .

Même si je n'y croyais pas vraiment parce que je sais très bien que c'est quelqu'un qui ne s'excusera jamais, il est presque néo-nazi dans sa tête. Devant ce qu'il appelle "bougnoule ", il ne s'excusera jamais. Ensuite, il y a eu une très forte pression pour que je revienne sur ma plainte.

 

CL : L'affaire s'envenime et le F.N. s'en empare...

AEO : Le F.N. s'est emparé de l'affaire très tôt. Le harcèlement du F.N. était particulièrement fort, c'est notamment pour cela que je ne souhaitais pas qu'il y ait un procès. Très vite, des voitures ont commencé à me suivre, j'entendais des " salaud ", " connard " derrière mon  dos. Sur Saint-lô, c'était presque invivable en partant. J'entendais sans cesse des insultes derrière mon dos, je pouvais juste aller au travail et revenir à la maison. Des gens dans leur magasin me traitait de " salaud " et de plein d'autre chose comme ça. Quand ma femme était avec moi je ne craignais pas grand chose. A un moment on était avec ma mère dans un jardin, venue exprès du Maroc. Je pensais que ce bordel était fini mais cela ne faisait qu'empirer. Quand j’ai perdu le bébé, je suis parti faire un tour en prenant mon courage à deux mains et là j’ai entendu toutes sortes d’expressions, dans des cafés, par des gens dont on avait dit qu’ils étaient cools. J’ai même eu des vis sur les pneus de la voiture de ma femme pour tenter de me tuer.

 

CL : Etes- vous satisfait du jugement?

AEO : Non, je ne souhaitais pas qu’il soit en prison. Pour ce qu’il a fait dans le passé, il mérite déjà la prison. Son frère a témoigné avec moi, il raconte avec des preuves écrites à l’appui qu’il a acheté sa maison par force. Il a fait fermé un café en servant des boissons chez lui : le café a fait faillite. Il a fait de la casse partout où il était avec sa bande. A Ouistreham, il a été renvoyé par les autorités. Il a fait de la casse également du côté de Dreux. S’il n’avait pas été raciste, il ne m’aurait pas attaqué. Saint-Jean est une ville que j’adorais vraiment. J’ai tout laissé. Du fait que les injures raciales n’aient pas été retenues, cela m’a choqué…

 

CL : La situation est-elle différente maintenant que vous êtes à Caen ?

AEO : C’est complètement différent parce que sur Caen, il y a certainement des gens qui connaissent mon affaire, mais il ne m’arrive rien. Je me ballade librement. Il y a des journaux comme Ouest-France qui ont  parlé de ma peur et de mon humiliation. Moi, ce qui m’a tué, c’est l’humiliation, c’est mon honneur propre d’être humain. Mais pas la peur, je n’ai jamais eu peur c’est ce qui m’a sauvé.

 

CL : Avez-vous auparavant été fréquemment confronté à des agressions verbales ?

AEO : Ce n'est pas fréquent. Par contre, je peux le dire librement, cela existe beaucoup dans les petits cafés, dans la Manche. C’est pas propre à la campagne. Si tu te ballades dans un village, tu n’entendras jamais des insultes comme "bougnoule". Mais  si tu vas dans les petits cafés, les piliers de bar sont souvent racistes. Cela m’est arrivé également au bord de la mer, près de Coutances. J’étais avec mes enfants. A l’époque je préparais le C.A.P.E.S. et j’entendais des discussions allant bon train. Mais cela ne me dérangeait pas . Je me sentais tellement Français que je me disais que ce n’étaient que des malheureux cherchant un échappatoire. Cela me blessait moins mais depuis que j’ai eu cette affaire malheureuse, cela me revient par flashs.

 

CL : Vous y voyez des raisons?

AEO : Ce racisme là est plutôt lié au malheur personnel. Ces piliers de bar ont des problèmes personnels, ne peuvent battre leur femme. Ils sont violents envers la société. Résultat quand vient un Arabe, ils se mettent à le traiter de "bougnoule".

 

CL : Qu’est ce qui fait qu’une histoire purement locale prenne une telle ampleur?

AEO : Personnellement, j’ai des informations au sujet de  M. Pouillot, certaines provenant même de sa famille qui me disent qu’il est Front National, même si lui dit qu’il ne l’est pas. C’est une récupération du racisme, qui d’ailleurs se casse la gueule partout en France. Selon moi le F.N. n’est pas intervenu seulement parce que je suis étranger, certes il récupère le racisme parce que c’est tout ce qu'il lui reste. En même temps,  M. Le Rachinel sait que cette bande est une bande de malfrats donc à mon avis, il a plus voulu jouer sur le plan national. Sur le plan régional, je suis presque certain -car je suis optimiste- que cela va jouer contre eux.

Dans l’affaire de la Dollée, ils ont parlé de «bande ethnique» alors qu’il n y avait qu’un noir(d’outremer). Tous les autres étaient blancs. Ils ont parlé d’Arabes mais ils n’en ont pas trouvé dans le quartier qui posait problème. Il y en a d’ailleurs très peu; moi je les ai connus après l’affaire. Chacun était dans son coin, quatre ou cinq m’ont témoigné leur soutien. Ils m’ont dit qu’ils ne souhaitaient pas venir le jour de la manifestation pour ne pas provoquer. Ils m’ont dit qu’ils étaient avec moi avec le cœur.

 

CL : Cette discrétion n’est-elle pas quelque part une défaite?

AEO : Moi la peur, je ne connais pas. J’aurais pu demander une mutation à mon ministère, mais j’ai préféré rester dans une ambiance que je connais bien plutôt qu’affronter une inconnue au niveau du travail. En même temps, s’il y a quelque chose qui me tue c’est d’avoir peur de disjoncter, tomber en dépression. Au niveau des autorités en campagne, on est inquiété car on sait qu’il n'y aura pas de suivi. C’est pour cela qu’on a déménagé. Cela dit, quelqu’un qui est discret, lorsqu’il devient connu, c’est déstabilisant. Même si la raison principale du déménagement reste la mort du bébé due au front national avec les lettres de menaces qui continuent encore sur les gens qui m’ont soutenu comme le maire de Saint-Jean. J’ai eu de la chance d’avoir un maire de campagne qui soit anti-raciste.

CL : Vous ne recevez plus de lettres de menaces?

AEO : non, là sur Caen je pense qu’il ne m’arrivera rien.

 

CL : Quelle est la situation du procès?

AEO : Là, tout le monde a fait appel. J’ai fait appel, le F.N. a fait appel et même le Procureur de la République a fait appel car il était insatisfait de l’élimination des injures raciales sur une faute de frappe. Moi aussi je fait appel à ce sujet là. Le F.N. rassemble des avocats européens pour prouver l’illégalité du procès.

Le jour du jugement déjà, c’était de l’injure raciale publique parce qu'ils hurlaient devant la télévision : "Les métèques dehors". Heureusement qu’il y avait les forces de l’ordre qui n’étaient pas loin... juste en passant, il y a un homme d’origine étrangère qui a failli se faire lyncher.

CL : Comment expliquer une telle attitude de soutien envers un agresseur ?

AEO : C’est un soutien au racisme, tout simplement.

 

CL : Quant à vous, vous étiez soutenu par les associations?

De ce côté là, c’est vraiment ma satisfaction personnelle. D’une part, j’avais beaucoup d’amis. D’autre part, depuis que je suis tout petit je n’ai pas de réels ennemis. J’essaie de m’intégrer dans n’importe quelle communauté parce que je respecte les idées de chacun. Je n’ai pas eu d’ennemis aussi bien dans mon village qu’au niveau des associations. J’étais aussi soutenu par tous les partis politiques, de droite, de gauche. Même le conseiller général m’a apporté un soutien très personnel. Ils m’ont tous invité mais je n’y suis jamais allé pour dire qu’il n’y avait pas de récupération politique. Je n’ai vu que le M.R.A.P. avec qui je suis allé porter plainte. Je souhaitais juste rencontrer les associations. Il y a eu une motion au conseil régional que seuls le F.N. et le M.N. (N.D.L.R. : Mouvement National de ce cher M. Mégret) n’ont pas signée. Au niveau de la commune, il y a également eu une motion de soutien.

 

CL : Que pensez-vous d’une éventuelle interdiction du FN ?

AEO : Je ne vois pas pourquoi, on ne l’a pas interdit pour mon affaire, car il est passible d’interdiction. Il y a discussion car nous sommes dans un pays de droit mais le droit a quand même ses limites. Devant le tribunal, l’attitude des partisans de M. Pouillot, par exemple lorsqu’ils crient "les métèques dehors" devrait suffire à justifier l’intervention du juge et l’implication du FN. Je pense qu’au niveau politique ils ne prendront jamais de décisions même s’il  y a déjà eu des morts et qu’il y en aura encore

 

CL : Est ce dangereux de laisser un tel parti avec un tel pouvoir?

Oui même M. Pouillot, il est violent, il est dangereux. Je pense que sans la structure du F.N. il n’irait pas jusqu’à ce point dans l’agression. Au milieu d’injures personnalisées contre moi, on pouvait reconnaître le discours du F.N. : "Notre gouvernement est un gouvernement de merde qui nous inonde de bougnoules".

 

CL : L’interdiction correspond elle à la suppression du racisme?

AEO : Au moins cela supprimerait les chances qu’un tel parti prenne du pouvoir. De toute façon, le F.N. n’est bon pour personne. 

 

CL : Est-ce que vous avez quelque chose à ajouter?

AEO : Ce que j’aime bien dire, c'est de remercier les gens simples qui prennent un peu de temps pour écrire des mots qui réchauffent le coeur. Cela prouve qu’il y a un esprit de solidarité assez fort. On dit que les gens sont égoïstes mais je pense qu’ils ne le sont pas tant que cela.

 

Propos recueillis par Alexandre Henrye, Rudy L'Orphelin et Christophe Lebon.

 

 

 

                                                                                                                   DOSSIER

 

Interview de Maître Losq, avocat de M. El Ouardi

 

Pour commencer, on aurait voulu savoir comment A.El Oaurdi était venu vous présenter l’affaire ?

Il y a différentes circonstances. Je suis membre d’une association qui s’appelle «Avocats sans frontières» avec un certain nombre de critères et une certaine éthique, la défense des droits de l’homme. C’est le premier point, puis je suis aussi allé au Rwanda qui est un sujet assez énorme. Donc,  ça s’est su dans la région et j’ai animé des conférences notamment sur le génocide du Rwanda et sur les procès qui ont lieu depuis 96 pour juger les accusés. J’ai été en contact avec un certain nombre de personnes notamment les gens du M.R.A.P., la Ligue des droits de l’Homme, d’une part. Et d’autre part, un concours de circonstances : A.El Ouardi est un collègue de mon épopuse enseignante au collège Pasteur. A partir de là, j’ai discuté avec lui de son dossier et de la façon de présenter les choses. J’ai été l’avocat à la fois de M.El Ouardi et du M.R.A.P. dont les intérêts sont assez proches sur cette affaire mais pas exactement les mêmes. M.El Ouardi en tant que victime voulait faire valoir ses idées et de quelle manière il avait perçu l’humiliation. Le M.R.A.P. est une association qui défend l’intérêt collectif des gens qui sont habituellement victimes de ce genre d’agressions. M.Pouillot qui a été condamné à six mois de prison dont deux  ferme a fait appel, donc l’affaire va être réexaminée à la cour d’appel de Caen en début d’année 2001. Dans la foulée tout le monde a fait appel, le Procureur, M.El Ouardi mais pas le MRAP qui pourra tout de même se constituer partie civile. J’ai toujours été convaincu que M.Pouillot  est un peu un cobaye, le F.N. le manipule de A à Z, manipulation dont il se rend plus ou moins compte. Le F.N. et particulièrement Le Rachinel le font pour la pub en montrant qu’ils défendent les bons Français.

 

Quand A.El Ouardi vient vous voir pour vous présenter l’affaire, le F.N. est-il déjà impliqué ?

Le F.N., non. Il y avait Pouillot et ses "sbires". Il  était comme un chef de bande. Il avait des idées plus ou moins racistes, on n’a pas l’habitude de voir des Marocains surtout à St-Jean-des-Baisants. Ils ont des idées un peu archaïques disons moyennageuse. "Un marocain il n’a qu’une chose à faire c’est de rentrer chez lui". Le F.N.  s’est impliqué quand il a senti que l'affaire prenait de l’importance et quand il a su que le M.R.A.P. s’en occupait. L’avocat de M.Pouillot et moi-même avons été interrogés par des radios et des télés nationales. Cela veut dire qu’il y a quelqu’un qui s’est arrangé pour que cela prenne une ampleur nationale. C’est à mon avis principalement le F.N. Je ne veux pas critiquer le M.R.A.P. mais je pense qu’ils ont trop porté l’affaire sur le terrain politique. Ça a mis un peu  le feu aux poudres puisque le F.N. n’attendait que ça. Cela dit, c’est aussi le de ces associations de briser le silence. Je reviens du Rwanda et je suis le premier à dire qu’il faut qu’on en parle  puisque les affaires de génocide ou de racisme, ça commence toujours par le silence.

 

Le M.R.A.P. reste une association dont l’un des buts est de porter en justice ce genre d’affaires et d’aider les victimes alors que le F.N. est un parti politique...

Ça m’a toujours choqué aussi. Il y a deux choses. D’abord le F.N. est un parti politique et n’est pas une association de défense de qui que ce soit. La deuxième chose c’est que Le Rachinel  a payé l’avocat de Pouillot et paiera les avocats pour l’appel.Ouvertement, le F.N, en tant que parti politique soutient des agresseurs de Marocains. J’ai toujours dit à M.Declosmenil que, quand tout ça serait fini, on aurait un motif clair et net pour faire interdire le F.N. La diffusion des idées racistes c’est interdit. Ils arrivent toujours à dire et à écrire qu’ils ne sont pas là pour défendre des idées racistes. Sauf que là il n' y a pas de doute possible.

 

Seriez-vous pour ce genre de procédure?

Oui, bien-sûr ça m’amuserait.

 

A ce propos, M.El Ouardi nous disait qu’il n’était pas satisfait du procès puisque les injures raciales n’ont pas été retenues...

C’est à mon avis une lacune dans la loi. Il y a deux choses. Les injures raciales et les menaces de mort. Les injures ayant été commises dans un débit de boisson , elles n’ont pas été retenues car dans la loi il faut qu'elles soient énoncées par voie de presse. C’est curieux, mais c’est comme ça. Ça veut dire qu’on a pas le droit d’insulter dans les médias quelqu’un du fait de son appartenance à une ethnie quelconque, mais par contre, on a le droit de le faire verbalement. C’est ce que le tribunal de Coutances a décidé. Je ne sais pas si la cour d’appel de Caen dira la même chose, mais il est tout à fait possible que oui.

 

Et c’est pour cette raison que vous êtes en appel aujourd’hui ?

Entre autres, mais il y a aussi le fait que ceux ont fait appel donc je souhaite que l’on se fasse entendre au même niveau que l’accusé. Mais c’est vrai qu’il y a une lacune. M.Declosmenil m’ avait notamment parlé de la nuance au niveau de l’injure par voie de presse. C’est la loi de 1881 sur la presse qui prévoit l’infraction d’injures raciales. C’est un ajout qui a été fait il y a quelques années mais tout ce qui est en dehors de la presse est exclu. Il y a un petit point juridique embêtant. Dans la profession on a la chance d’avoir beaucoup de députés, ce qui permet de faire avancer quelques petites choses dont celle-là, justement. On va essayer, on verra bien. On est quand même dans une époque où on essaie de lutter contre les idées racistes. C’est un oubli qui est un peu bizarre...

 

Cela ne pourrait-il pas être reconnu du fait que l’affaire soit passée dans la presse, que le FN en s’en emparant lu ait donné un caractère politique ?

Oui, cela se pourrait et c’est bien ce que j’ai l’intention de dire en appel. Surtout que depuis le jugement, de nombreux articles supplémentaires sont parus. Quoi qu'il en soit chez M.El Ouardi ce serait plutôt un aspect psychologique quand on dit qu'il était un peu déçu. Moi, j’étais quand même assez content parce-que la condamnation est tout de même suffisamment sévère. J’avais dit et je le redis que nous ne souhaitions pas forcément qu’il aille en prison, (ce n'est pas le but de l’avocat des victimes) mais qu’au moins on en parle et qu’il y ait une sanction. L’agression et les menaces de mort (verbales et physiques) ont tout de même été retenues de façon claire et nette. C’est une victoire assez importante parce que si le F.N. avait obtenu la relaxe, cela aurait été fou. Je ne sais pas comment ils vont se défendre en appel… Dans une autre affaire, ils ont fait venir des avocats belges car là-bas, ils ont des avocats spécialisés qui travaillent pour l’équivalent du F.N. Ils ont vraiment une organisation très rigoureuse.

 

En France puisque le FN a aussi ses avocats...

Je ne crois pas qu’ils soient vraiment attitrés, ils en ont un ou deux. Il y a par contre des juristes. Il y a  Ceccaldi, le fameux juriste, qui était là lors du procès. Ils sont salariés du F.N, en fait. Pour vous dire que l’extrême droite au niveau européen a mis tout un système en place qui existe officiellement. et ne s’en cache pas. Il faut quand même le savoir.

 

Pouvez vous nous expliquer l’annulation par faute de frappe qui semble être une aberration ?

C’est le commissaire public qui envoie les convocations au tribunal et il y a eu une inversion de chiffres au niveau de l’article du code pénal concernant M.Pouillot sur la question des injures raciales. Il y a eu un article qui n’a pas pu être appliqué. La secrétaire du procureur avait inversé les chiffres, ce sont des choses qui arrivent. Mais cela a des conséquences graves, la preuve.

 

Quelles sont-elles ?

Le tribunal correctionnel a reconnu que c’était une erreur et donc on ne pouvait pas en parler. Nous avons l’intention avec Maître Petit-Etienne, qui sera aussi en appel avec la Ligue des droits de l’Homme de retenir ce texte là quand même, considérant que tout le monde sait très bien de quel article il s’agissait. C’est une erreur matérielle pure et simple… Donc on va essayer de relancer le débat là-dessus.

 

Parmi les choses qui nous semblaient floues, il y avait aussi le fait que toutes les personnes présentes au bar n’aient pas été entendues ?

Oui c’est possible. Il faut savoir aussi qu’apparemment les gendarmes de Torigni, au début, n’ont pas été très coopératifs. Ils ont fait comprendre à M.El Ouardi que c’était une affaire banale. Ils ont commencé à prendre son affaire en considération lorsqu’il est revenu avec M.Declosmenil du M.R.A.P. qui a un poids assez sérieux dans la région. Ils ont donc commencé à mener leur enquête. Je pense qu’il y a deux raisons à cela : d’une part, ils ont beaucoup d’affaires, lorsque ce sont des petites bagarres, ils ne font pas trop attention. Sauf que là, c’était tout de même assez particulier. L’autre raison, à mon avis, c’est que la bande de M.Pouillot était très connue et que M.El Ouardi dit qu’ils en avaient plus ou moins peur. Ce sont les deux raisons a priori pour lesquelles, ils ont voulu classer l’affaire. Il m’a raconté que quelques temps avant le procès, au mois de juillet, il est allé au renseignements généraux où il avait demandé un rendez-vous. Il a eu la mauvaise surprise de voir que c’était l’un des responsables du F.N. Ça fait drôle quand même ! Pour vous dire à quel point ce sont des tentacules qui se placent aussi bien dans la police qu’aux renseignements généraux. De plus le jour de la décision rendue début septembre, on a frôlé la bagarre, dehors, entre le FN et les associations. Mais les C.R.S. se sont interposés aussitôt. Pour dire encore une fois que le F.N. est vraiment là pour défendre ses adhérents, même si M.Pouillot ne l’est devenu au cours du procès. Signalons que l’avocat du F.N. est Russe. Je crois que le FN, pour le dire clairement fait la différence entre les étrangers qui ne sont pas de mêmes cultures. Les Russes sont blancs, orthodoxes ou catholiques, mais surtout pas d’origine africaine.

 

Avez-vous ressenti autour de vous ce racisme latent pendant la période du procès ?

Je savais que les idées d’extrême droite étaient déjà bien implantées en France. Cela ne m’a pas tellement surpris de voir toutes ces réactions, cela choque quand même un peu et c’est décevant car je pensais que l’on avançait vers une ouverture d’esprit et l’acceptation des gens. Je reste convaincu que si aujourd’hui, nous étions dans la même situation qu’en 1940, il se passerait exactement la même chose. Toutes les exclusions que ce soit pour les génocides arménien, juif ou rwandais commencent toujours de la même manière. Les gens qui tiennent à mettre en oeuvre leurs idées profitent du silence de la majorité et essaient de ramener à eux un certain nombre de gens, de manière plus ou moins sournoise. Vous avez celui qui devient convaincu au bout d’un certain temps et puis celui qui ne l’est pas beaucoup sans pour autant aller contre les idées. La dénonciation se fait pour avoir la paix. C’est la stratégie du FN, ils le savent très bien, d’ailleurs. Cela figure dans les bouquins du M.R.A.P.

 

Vous ressentez une progression dans le racisme d’une manière générale ?

Je ne sais pas si on peut parler d’une progression. Je souhaite que cela reste résiduelle. Malheureusement dans la région Le Rachinel fait à peu près 30% dans son canton. C’est un cas particulier car Le Rachinel est un personnage donc quelquefois on vote plus pour le personnage que pour le parti. J’ai peur qu’il y ait tout de même une progression.

 

Comment peut-on comprendre une attitude raciste en campagne?

D’autant plus que M.El Ouardi est naturalisé, qu’il a un statut de fonctionnaire. Effectivement, c’est choquant. C’est dans ce sens que je dis que c’est moyen-âgeux, c’est-à-dire le refus de toutes les différences. Celui qui n’a pas la même tête que nous, nous ne l’acceptons pas. J’arrive quand même à la conclusion, au sujet du racisme, qu’il ne faut pas se demander pourquoi, car si on cherche pourquoi, on ne peut pas trouver; il y a des choses qu’on ne peut pas comprendre. Les gens du F.N. ne sont pas tous des imbéciles, les SS n’étaient pas tous des idiots. Par exemple, Mégret sort de l’E.N.A. Pour le génocide rwandais, il y avait un tas de gens qui étaient docteurs en droit, docteur es lettres et qui sont entrés dans un système d’exclusion et de violence vraiment affreux, le plus horrible qu’on puisse voir.

 

Il n’y a pas à chercher pourquoi, il faut lutter contre...

Voilà c’est exactement ce que je pense. C’est triste à dire mais j’en arrive à me demander si je ne suis pas rentré moi aussi dans ce système. C’est un engrenage complètement fou.

 

On est tous des nazis potentiels ?

J’ai tendance à penser ça. Je me trompe peut-être. Cette idée là m’est venue au retour du Rwanda. Il y a des ministres, des avocats, des médecins… en détention «provisoire» depuis six ans qui avaient une vie tout à fait honorable et qui n’en avaient rien à foutre d’aller taper sur une autre ethnie, en l’occurrence les Tutsis. Cela n’aurait rien changé à leur vie, ils avaient de l’argent, ils avaient de quoi vivre correctement. Ils ne l’ont pas fait, ils sont rentrés dans l’engrenage… Quelle serait ma réaction si j’étais dans les mêmes circonstances, si par exemple, l’extrême droite prenait le pouvoir ?

 

Justement, cette affaire alors que l’extrême droite nous semblait en perdition, ne contribue-t-elle pas à la replacer sur le devant de la scène ?

Oui, c’est vrai. Il y a deux interprétations, ou bien cela attise, effectivement ou alors on fait sortir les idées véritables des gens. Le racisme existant à l’état latent, ressort.

 

Il s’agit là de la réflexion classique selon laquelle parler du F.N, c’est entrer dans son jeu...

C’est pour cela que j’estime que certes il fallait en parler sans pour autant en faire une affaire nationale.

Le risque est que le FN s’en saisisse pour en faire une publicité. Je me pose tout de même la question : si c’était resté au niveau local, cela aurait-il eu le même effet publicitaire ? Je ne sais pas...

 

Les mouvements antiracistes se sont eux aussi mis en valeur...

Oui, heureusement. J’ai été interrogé par radio-beur, une radio parisienne peu connue. Je trouvais ça sympa. Cela veut quand même dire qu’il y a eu une répercussion importante.

 

Comment va se passer l’appel ?

On refait exactement la même chose qu’à Coutances à la différence qu’on a déjà une base de références du correctionnel. Chaque partie plaidera. On reprend la même chose sans dire nécessairement la même chose. Mais à mon avis, il faut quand même qu’on y soit pour faire entendre notre voix.

 

Est-ce que vous pensez que la défense va continuer de soutenir M.Pouillot en prétendant que ce qu’il a fait  est une bonne chose ?

Oui, je vois mal comment ils changeraient d’arguments.

 

S’ils étaient intelligents, ils devraient privilégier les excuses...

Venant du FN, des excuses... ce serait le monde à l’envers!

 

Cela permettrait pourtant de minimiser la sanction...

Oui c’est bien ce que je pense. Pourtant, la dernière fois il a tout nié. L’avocat de la défense a même dit qu’il ne fallait pas exagérer, qu’il n’y avait pas beaucoup de telles affaires en France. Il a cité 34 affaires officielles auxquelles il faut en retirer 11 parce qu’elles sont antisémites. Cela signifie que taper sur un juif n’est pas une agression, il le disait clairement. D’un point de vue déontologique, c’est proprement condamnable. Il y a des choses qu’on n’a pas le droit de dire.

 

Propos recueillis par Olivier Lehoux, Alexandre Henrye et Rudy L'Orphelin.

 

 

EPILOGUE

DERNIERE MINUTE...


Notre dossier était à peine terminé que nous apprenions la date du procès en appel, le lundi 19 février. Au palais de justice, les forces de l'ordre nous ont accueilli chaleureusement en nous invitant à rester dehors. Plusieurs mouvements antiracistes étaient présents et ont chauffé la centaine de manifestants à coup de chants partisans. Toujours est-il que les décisions prises sont plutôt positives puisque M. Pouillot a écopé de trois à  quatre mois de prison  ferme contre deux en première instance. Le jugement a été mis en délibéré pour fin mars. On attend le résultat avec confiance !  

Nous remercions Maître Losq et Abdel El Ouardi de nous avoir accordé un peu de leur temps pour ces entretiens

 

                                     FIN DU DOSSIER

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