numéro un, paru en mars 2001
AFFAIRE
EL OUARDI OU CHRONIQUE D’UNE BANALISATION DE L’ATTITUDE RACISTE
La
fierté affichée des partisans de l’accusé lors du procès à Coutances (qui
comptait dans ses rangs Marie-France Stirbois et Le Rachinel) est caractéritique
d’une institution qui de par son colportage d’idées fascisantes va donner
une légitimité à l’agression et à l’agresseur. Quant à savoir si
l’extrême droite institutionnalisée est la condition sine qua non de l’idée
raciste en soi, il serait difficile d’y répondre. Quoiqu’il en soit et dans
le cas de cette affaire, le F.N. en
portant sur ses épaules la justification d’actes répréhensibles prouve que
le racisme sans point d’appui est le résultat d’une misère spirituelle,
racisme qui, bien que significatif
et intolérable, reste moins nuisible et pour peu d y’être attentif est plus
à même de se contrôler, peut-être de s'endiguer.
Bien plus qu’une simple justification de l’injustifiable, le FN se
saisit de l’affaire dans une optique de propagande. Soutenir un pauvre type
raciste figure parmi les activités de prédilection du parti. En bon samaritin,
soucieux de la liberté de tous ses concitoyens, Le Rachinel (qui a payé
l’avocat de la défense) conçoit comme un devoir de défendre tout
homme susceptible de hisser les couleurs du F.N. A aucun moment, l’homme
-Pouillot- n’intéresse le FN Il n’est qu’une occasion offerte à un parti
fasciste en perdition de retrouver
un instant le devant de la scène médiatique. En légitimant ce type
d’attitudes, le F.N. banalise la
haine de l’autre et tend à rendre indiscutable la nécessité de son
existence. Voilà pourquoi cette affaire mérite votre attention : elle met en
avant la perversité de la stratégie de l’extrême droite et interroge à
nouveau l’authenticité de sa reconnaissance. C’est celui-là, le plus teigneux, ce racisme qui ronge, ce racisme ravageur d’esprit. La haine de l’autre qui caractérise sa propre misère. Celui du quotidien s’inscrivant presque dans la banalité, confondant race humaine et genre humain, arrachant au monde sa dignité... Et il existe bel et bien comme un feu étouffé se rallumant au moindre souffle de vent. Rudy L'Orphelin Alexandre Henrye
C’est arrivé près de chez vousMesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, il semble que tous les malheurs du monde arrivent uniquement aux autres et pourtant, cette année, un homme a été menacé de mort et injurié pour avoir pris un café dans un commerce d’un petit village que vous connaissez bien : Saint-Jean-des-Baisants. En effet, c’est arrivé près de chez vous. Après tout, s’emporter pour une boutade, des conflits de famille, de voisinage, pourquoi pas ? Mais ici, il est difficile d’admettre les termes qui suivent: «sale bougnoule», «on va nettoyer Saint-Jean-des-Baisants des arabes», et même poussons le vice plus loin «je vais te tuer sale bougnoule» selon les dires de la victime, qui, harcelée depuis plusieurs mois, dépose plainte le 19 mai 2000. Le tout est confirmé par le patron du commerce. Il ne serait pas imprudent de qualifier ces termes de menaces et injures en raison de la couleur de peau de notre victime, Abdel El Ouardi, professeur d’anglais depuis 4 ans dans la Manche, d’origine marocaine. Quel bel accueil nous lui faisons là. Heureusement, M. Pouillot, notre auteur, concède devant le Président du tribunal s’être peut-être emporté : «j’ai peut-être dit sale arabe comme on m’avait dit sale français». S’agirait-il d’excuses, de regrets ? Aucunement. L’affaire commence et n’est pas terminée. Le 19 mai, l’enseignant porte plainte . L’action publique se met en marche. Le procès se prépare dans les coulisses et la politique s’invite au tribunal. Cela n’empêchera pas la justice de faire son travail
Première partie : La politique s’invite au tribunal
Le 18 juillet, Fernand Le Rachinel, conseiller général de Canisy, député européen et responsable du Front National dans la Manche, se propose de supporter l’ensemble des frais de la procédure, et ce à titre personnel. L’homme est d’importance; il fait du procès d’Alain Pouillot une cause légitime et de l’auteur un martyre, tel Voltaire pour l’affaire Calas ou Zola pour le Capitaine Dreyfus. «Je connaissais la fille d’A.Pouillot, Miss Manche. Elle a sollicité mon aide. Quand quelqu’un me demande un service, je le rends sans hésitation ! »; Trop aimable, votre ami en aura bien besoin. Le Front National, dont la bienveillance est exemplaire, soutient la « victime » avec force. M. Marcel Ceccaldi, directeur adjoint des affaires juridiques du F.N., accompagné d’un avocat du barreau de Paris, en toute logique bien français, Maître Nicolay Fakiroff, se déchaîne pour la défense, multipliant les phrases préparées, telles «manipulation», «instrumentalisée par le MRAP», «complots», «une affaire exemplaire: c’est l’exemple même du bâillonnement de la France», et les diversions de toutes sortes dont le rapport avec l’affaire apparaît bien léger. M. Fakiroff rappelle devant le tribunal «l’agression dont a été victime ce dernier à la suite de son intervention, quelques jours plus tôt, alors qu’il tentait de porter secours à une personne âgée, attaquée par une bande dans un immeuble de la Dollée, un quartier de Saint-Lô». Mais comparaison n’est pas raison. L’homme en noir assis sous la balance intangible de la justice n’est pas dupe. La défense a beau minimiser une affaire qui ne repose selon elle que sur «des propos de café», la sanction, telle l’épée de Damoclès, se dessine à l’horizon. M. Pouillot, soutenu par 600 signatures, fait décidément figure de bon élève. «C’est une affaire montée en épingle par un lobby local bien identifié» dit-il. Ce lobby local, Monsieur, est soutenu par Ligue des droits de l’homme, Fédération des oeuvres laïques, Cercle Condorcet, MRAP, Citoyen à St-Lô, Francas, Gauche Plurielle, CGT, CFDT, FSU, CSF, ACAT, SUD, PTT, FEN, UNSA, Agneaux Ensemble, Amnesty International et enfin SOS Racisme, et bien d’autres que j’oublie. Cette localité semble se résumer au monde entier lorsque l’on découvre l’importance d’Amnesty International à travers la planète. Par ailleurs, ce même lobby est soutenu par l’ensemble de la classe politique. Le 29 mai 2000, le maire de la commune, Roger Croquevieille, fait adopter une motion soutenant l’action menée par M. El Ouardi devant la justice : «devant ces actes inqualifiables, le Conseil Municipal apporte soutien et sympathie à l’action courageuse entreprise par M. El Ouardi. Ces faits violents sont l’œuvre de quelques personnes en majorité extérieures à Saint-Jean-des-Baisants : le Conseil Municipal fait confiance à la justice pour faire cesser ces actes. M. Abdel El Ouardi est un citoyen de la commune à part entière». Jean-Luc Cohin chez les Verts soutient que «l’extrême droite, même divisée, est toujours prête à justifier l’inqualifiable». M. René André, député maire d’ Avranches, affilié au RPR, ajoute que «le racisme est une tare qu’il faut dénoncer en permanence. Il n’est jamais excusable, jamais acceptable.» Le PS note encore que «le racisme n’est pas une opinion mais un délit.»Le soutien à un homme dont le courage est à féliciter fait chaud au coeur, au même titre que ce combat mutuel et continu contre le racisme, la peur et la haine. Notre société a tranché la tête des discriminations raciales trop souvent banalisées dans nos villes et nos campagnes. Messieurs les fascistes, tenez-vous bien! Mais la justice n’est pas la politique. Troquons nos fourches et nos bâtons pour la robe et l’hermine. Il s’agit de juger un homme au pénal devant le Tribunal Correctionnel de Coutances pour un délit et une contravention, dont relève respectivement les menaces de mort et injures raciales.
Deuxième partie : le travail de la justice
.Pouillot
est gardé à vue puis relâché. Il est poursuivi pour menaces de mort et
injures raciales. L’article 222.17 du code pénal incrimine les menaces de
commettre un crime ou un délit contre les personnes, punies de 6 mois
d’emprisonnement et de 50000 francs d’amende lorsqu’elles sont soit réitérées,
soit matérialisées par un écrit, une image ou tout autre objet. Le fait de
passer son pouce sous sa gorge pour mimer un acte d’égorgement constitue
une menace par image (propos du commerçant dans sa déposition). De plus, et
de façon moins délicate, le seul fait de dire «je vais te tuer sale
bognoule» constitue une menace de mort, réprimée plus sévèrement par
l’alinéa 2 du même article augmentant la peine à 3 ans d’emprisonnement
et à 300000 francs d’amende pour l’infraction spécifique de menace de
mort. En l’espèce, cette qualification est retenue par le tribunal. Pour la
seconde qualification retenue, à savoir, injures raciales, cette
incrimination relève d’une contravention (R 621-2 du code pénal) selon
laquelle « l’injure non-publique envers une personne lorsqu’elle
n’a pas été précédée de provocation est punie de l’amende prévue
pour les contraventions de première classe ». Cependant, l’article R
624-4 du code pénal apparaît plus adapté en la matière «à raison de leur
origine ou de leur apparence à une ethnie». Cette incrimination est punie
d’une contravention de quatrième classe. En réalité, cette qualification
a surtout un caractère symbolique dans le procès. La
défense, le 25 juillet 2000, doit faire face à l’action publique (action
du Parquet représenté par le substitut du procureur de la République) et
l’action civile composée du demandeur M. El Ouardi, du MRAP représentés
par Maître Losq, avocat St-Lois au Barreau de Coutances et de la Ligue des
droits de l’homme par Maître Petit Etienne (associations intervenues en
application de l’article 2-1 du code de procédure pénale). Il stigmatise
les idées racistes : «idées qui sont un danger en elles-mêmes et par le
risque d’aller au delà des paroles qu’elles représentent. Ce genre
d’idées entraîne des drames, la seule façon de faire cesser ce type de
comportements, c’est d’en parler comme nous le faisons aujourd’hui et
que ces gens soient jugés» a-t-il plaidé, en concluant «Le monde est un
petit village et chacun a droit au respect». Le substitut du procureur
requiert 6 mois d’emprisonnement dont 4 avec sursis et une amende de 4000
francs contre A.Pouillot. L’affaire est mise en délibéré. M. l’Accusé
sort du tribunal « mains propres et tête haute », applaudi par
son comité de soutien. Le 12 septembre dernier, le jugement confirme sur les
deux fondements retenus que cet individu a attaqué un citoyen français au
nom d’une idéologie xénophobe. Il supplante les réquisitions du substitut
du procureur en condamnant Alain Pouillot à 6 mois de prison dont 4 avec
sursis et 5000 francs d’amende, le condamne aux dépens de l’affaire et à
verser des dommages-intérêts à la victime à hauteur de 8000 F et de 2000F
pour les associations parties civiles. Le prévenu exerce son droit d’appel
dans les 10 jours à compter de la connaissance du jugement devant la Cour
d’Appel en matière correctionnelle. Affaire à suivre. Cependant, les
chances de cet homme apparaissent bien minces comparées à l’ampleur électoraliste
de ce procès. La condamnation d’un «honnête» homme permettrait-elle de
discréditer la justice française aux yeux d'un électorat avide d'imbroglios
politico-judiciares? Pauvres moutons que nous sommes, attention au conseil du berger qu'il soit bon ou mauvais, lui saura où est son intérêt. Si un jour, vous même, vous vous trouvez pris dans les méandres de la justice française et que l'on vous propose une aide gratuite, spontanée, par pure bonté , pensez à regarder, sous sa chemise, le cou de votre interlocuteur. Peut-être est-il pelé, tel le cou du chien qui s'était fourvoyé par mégarde dans la fable de La Fontaine. Le loup et le chien. Relisez-le c'est un grand classique. Olivier
Lehoux
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Interview de Maître Losq, avocat de M. El Ouardi
Pour commencer, on aurait voulu savoir
comment A.El Oaurdi était venu vous présenter l’affaire ?
Il y a différentes circonstances. Je suis membre d’une association qui s’appelle «Avocats sans frontières» avec un certain nombre de critères et une certaine éthique, la défense des droits de l’homme. C’est le premier point, puis je suis aussi allé au Rwanda qui est un sujet assez énorme. Donc, ça s’est su dans la région et j’ai animé des conférences notamment sur le génocide du Rwanda et sur les procès qui ont lieu depuis 96 pour juger les accusés. J’ai été en contact avec un certain nombre de personnes notamment les gens du M.R.A.P., la Ligue des droits de l’Homme, d’une part. Et d’autre part, un concours de circonstances : A.El Ouardi est un collègue de mon épopuse enseignante au collège Pasteur. A partir de là, j’ai discuté avec lui de son dossier et de la façon de présenter les choses. J’ai été l’avocat à la fois de M.El Ouardi et du M.R.A.P. dont les intérêts sont assez proches sur cette affaire mais pas exactement les mêmes. M.El Ouardi en tant que victime voulait faire valoir ses idées et de quelle manière il avait perçu l’humiliation. Le M.R.A.P. est une association qui défend l’intérêt collectif des gens qui sont habituellement victimes de ce genre d’agressions. M.Pouillot qui a été condamné à six mois de prison dont deux ferme a fait appel, donc l’affaire va être réexaminée à la cour d’appel de Caen en début d’année 2001. Dans la foulée tout le monde a fait appel, le Procureur, M.El Ouardi mais pas le MRAP qui pourra tout de même se constituer partie civile. J’ai toujours été convaincu que M.Pouillot est un peu un cobaye, le F.N. le manipule de A à Z, manipulation dont il se rend plus ou moins compte. Le F.N. et particulièrement Le Rachinel le font pour la pub en montrant qu’ils défendent les bons Français.
Quand A.El Ouardi vient vous voir pour vous
présenter l’affaire, le F.N. est-il déjà impliqué ?
Le F.N., non. Il y avait Pouillot et ses "sbires". Il était comme un chef de bande. Il avait des idées plus ou moins racistes, on n’a pas l’habitude de voir des Marocains surtout à St-Jean-des-Baisants. Ils ont des idées un peu archaïques disons moyennageuse. "Un marocain il n’a qu’une chose à faire c’est de rentrer chez lui". Le F.N. s’est impliqué quand il a senti que l'affaire prenait de l’importance et quand il a su que le M.R.A.P. s’en occupait. L’avocat de M.Pouillot et moi-même avons été interrogés par des radios et des télés nationales. Cela veut dire qu’il y a quelqu’un qui s’est arrangé pour que cela prenne une ampleur nationale. C’est à mon avis principalement le F.N. Je ne veux pas critiquer le M.R.A.P. mais je pense qu’ils ont trop porté l’affaire sur le terrain politique. Ça a mis un peu le feu aux poudres puisque le F.N. n’attendait que ça. Cela dit, c’est aussi le de ces associations de briser le silence. Je reviens du Rwanda et je suis le premier à dire qu’il faut qu’on en parle puisque les affaires de génocide ou de racisme, ça commence toujours par le silence.
Le M.R.A.P. reste une association dont
l’un des buts est de porter en justice ce genre d’affaires et d’aider les
victimes alors que le F.N. est un parti politique...
Ça m’a toujours choqué aussi. Il y a deux choses. D’abord le F.N. est un parti politique et n’est pas une association de défense de qui que ce soit. La deuxième chose c’est que Le Rachinel a payé l’avocat de Pouillot et paiera les avocats pour l’appel.Ouvertement, le F.N, en tant que parti politique soutient des agresseurs de Marocains. J’ai toujours dit à M.Declosmenil que, quand tout ça serait fini, on aurait un motif clair et net pour faire interdire le F.N. La diffusion des idées racistes c’est interdit. Ils arrivent toujours à dire et à écrire qu’ils ne sont pas là pour défendre des idées racistes. Sauf que là il n' y a pas de doute possible.
Seriez-vous pour ce genre de procédure?
Oui, bien-sûr ça m’amuserait.
A ce propos, M.El Ouardi nous disait
qu’il n’était pas satisfait du procès puisque les injures raciales n’ont
pas été retenues...
C’est à mon avis une lacune dans la loi. Il y a deux choses. Les injures raciales et les menaces de mort. Les injures ayant été commises dans un débit de boisson , elles n’ont pas été retenues car dans la loi il faut qu'elles soient énoncées par voie de presse. C’est curieux, mais c’est comme ça. Ça veut dire qu’on a pas le droit d’insulter dans les médias quelqu’un du fait de son appartenance à une ethnie quelconque, mais par contre, on a le droit de le faire verbalement. C’est ce que le tribunal de Coutances a décidé. Je ne sais pas si la cour d’appel de Caen dira la même chose, mais il est tout à fait possible que oui.
Et c’est pour cette raison que vous êtes
en appel aujourd’hui ?
Entre autres, mais il y a aussi le fait que ceux ont fait appel donc je souhaite que l’on se fasse entendre au même niveau que l’accusé. Mais c’est vrai qu’il y a une lacune. M.Declosmenil m’ avait notamment parlé de la nuance au niveau de l’injure par voie de presse. C’est la loi de 1881 sur la presse qui prévoit l’infraction d’injures raciales. C’est un ajout qui a été fait il y a quelques années mais tout ce qui est en dehors de la presse est exclu. Il y a un petit point juridique embêtant. Dans la profession on a la chance d’avoir beaucoup de députés, ce qui permet de faire avancer quelques petites choses dont celle-là, justement. On va essayer, on verra bien. On est quand même dans une époque où on essaie de lutter contre les idées racistes. C’est un oubli qui est un peu bizarre...
Cela ne pourrait-il pas être reconnu du
fait que l’affaire soit passée dans la presse, que le FN en s’en emparant
lu ait donné un caractère politique ?
Oui, cela se pourrait et c’est bien ce que j’ai l’intention de dire en appel. Surtout que depuis le jugement, de nombreux articles supplémentaires sont parus. Quoi qu'il en soit chez M.El Ouardi ce serait plutôt un aspect psychologique quand on dit qu'il était un peu déçu. Moi, j’étais quand même assez content parce-que la condamnation est tout de même suffisamment sévère. J’avais dit et je le redis que nous ne souhaitions pas forcément qu’il aille en prison, (ce n'est pas le but de l’avocat des victimes) mais qu’au moins on en parle et qu’il y ait une sanction. L’agression et les menaces de mort (verbales et physiques) ont tout de même été retenues de façon claire et nette. C’est une victoire assez importante parce que si le F.N. avait obtenu la relaxe, cela aurait été fou. Je ne sais pas comment ils vont se défendre en appel… Dans une autre affaire, ils ont fait venir des avocats belges car là-bas, ils ont des avocats spécialisés qui travaillent pour l’équivalent du F.N. Ils ont vraiment une organisation très rigoureuse.
En France puisque le FN a aussi ses
avocats...
Je ne crois pas qu’ils soient vraiment attitrés, ils en ont un ou deux. Il y a par contre des juristes. Il y a Ceccaldi, le fameux juriste, qui était là lors du procès. Ils sont salariés du F.N, en fait. Pour vous dire que l’extrême droite au niveau européen a mis tout un système en place qui existe officiellement. et ne s’en cache pas. Il faut quand même le savoir.
Pouvez vous nous expliquer l’annulation
par faute de frappe qui semble être une aberration ?
C’est le commissaire public qui envoie les convocations au tribunal et il y a eu une inversion de chiffres au niveau de l’article du code pénal concernant M.Pouillot sur la question des injures raciales. Il y a eu un article qui n’a pas pu être appliqué. La secrétaire du procureur avait inversé les chiffres, ce sont des choses qui arrivent. Mais cela a des conséquences graves, la preuve.
Quelles sont-elles ?
Le tribunal correctionnel a reconnu que c’était une erreur et donc on ne pouvait pas en parler. Nous avons l’intention avec Maître Petit-Etienne, qui sera aussi en appel avec la Ligue des droits de l’Homme de retenir ce texte là quand même, considérant que tout le monde sait très bien de quel article il s’agissait. C’est une erreur matérielle pure et simple… Donc on va essayer de relancer le débat là-dessus.
Parmi les choses qui nous semblaient
floues, il y avait aussi le fait que toutes les personnes présentes au bar
n’aient pas été entendues ?
Oui c’est possible. Il faut savoir aussi qu’apparemment les gendarmes de Torigni, au début, n’ont pas été très coopératifs. Ils ont fait comprendre à M.El Ouardi que c’était une affaire banale. Ils ont commencé à prendre son affaire en considération lorsqu’il est revenu avec M.Declosmenil du M.R.A.P. qui a un poids assez sérieux dans la région. Ils ont donc commencé à mener leur enquête. Je pense qu’il y a deux raisons à cela : d’une part, ils ont beaucoup d’affaires, lorsque ce sont des petites bagarres, ils ne font pas trop attention. Sauf que là, c’était tout de même assez particulier. L’autre raison, à mon avis, c’est que la bande de M.Pouillot était très connue et que M.El Ouardi dit qu’ils en avaient plus ou moins peur. Ce sont les deux raisons a priori pour lesquelles, ils ont voulu classer l’affaire. Il m’a raconté que quelques temps avant le procès, au mois de juillet, il est allé au renseignements généraux où il avait demandé un rendez-vous. Il a eu la mauvaise surprise de voir que c’était l’un des responsables du F.N. Ça fait drôle quand même ! Pour vous dire à quel point ce sont des tentacules qui se placent aussi bien dans la police qu’aux renseignements généraux. De plus le jour de la décision rendue début septembre, on a frôlé la bagarre, dehors, entre le FN et les associations. Mais les C.R.S. se sont interposés aussitôt. Pour dire encore une fois que le F.N. est vraiment là pour défendre ses adhérents, même si M.Pouillot ne l’est devenu au cours du procès. Signalons que l’avocat du F.N. est Russe. Je crois que le FN, pour le dire clairement fait la différence entre les étrangers qui ne sont pas de mêmes cultures. Les Russes sont blancs, orthodoxes ou catholiques, mais surtout pas d’origine africaine.
Avez-vous ressenti autour de vous ce
racisme latent pendant la période du procès ?
Je savais que les idées d’extrême droite étaient déjà bien implantées en France. Cela ne m’a pas tellement surpris de voir toutes ces réactions, cela choque quand même un peu et c’est décevant car je pensais que l’on avançait vers une ouverture d’esprit et l’acceptation des gens. Je reste convaincu que si aujourd’hui, nous étions dans la même situation qu’en 1940, il se passerait exactement la même chose. Toutes les exclusions que ce soit pour les génocides arménien, juif ou rwandais commencent toujours de la même manière. Les gens qui tiennent à mettre en oeuvre leurs idées profitent du silence de la majorité et essaient de ramener à eux un certain nombre de gens, de manière plus ou moins sournoise. Vous avez celui qui devient convaincu au bout d’un certain temps et puis celui qui ne l’est pas beaucoup sans pour autant aller contre les idées. La dénonciation se fait pour avoir la paix. C’est la stratégie du FN, ils le savent très bien, d’ailleurs. Cela figure dans les bouquins du M.R.A.P.
Vous ressentez une progression dans le
racisme d’une manière générale ?
Je ne sais pas si on peut parler d’une progression. Je souhaite que cela reste résiduelle. Malheureusement dans la région Le Rachinel fait à peu près 30% dans son canton. C’est un cas particulier car Le Rachinel est un personnage donc quelquefois on vote plus pour le personnage que pour le parti. J’ai peur qu’il y ait tout de même une progression.
Comment peut-on comprendre une attitude
raciste en campagne?
D’autant plus que M.El Ouardi est naturalisé, qu’il a un statut de fonctionnaire. Effectivement, c’est choquant. C’est dans ce sens que je dis que c’est moyen-âgeux, c’est-à-dire le refus de toutes les différences. Celui qui n’a pas la même tête que nous, nous ne l’acceptons pas. J’arrive quand même à la conclusion, au sujet du racisme, qu’il ne faut pas se demander pourquoi, car si on cherche pourquoi, on ne peut pas trouver; il y a des choses qu’on ne peut pas comprendre. Les gens du F.N. ne sont pas tous des imbéciles, les SS n’étaient pas tous des idiots. Par exemple, Mégret sort de l’E.N.A. Pour le génocide rwandais, il y avait un tas de gens qui étaient docteurs en droit, docteur es lettres et qui sont entrés dans un système d’exclusion et de violence vraiment affreux, le plus horrible qu’on puisse voir.
Il n’y a pas à chercher pourquoi, il
faut lutter contre...
Voilà c’est exactement ce que je pense. C’est triste à dire mais j’en arrive à me demander si je ne suis pas rentré moi aussi dans ce système. C’est un engrenage complètement fou.
On est tous des nazis potentiels ?
J’ai tendance à penser ça. Je me trompe peut-être. Cette idée là m’est venue au retour du Rwanda. Il y a des ministres, des avocats, des médecins… en détention «provisoire» depuis six ans qui avaient une vie tout à fait honorable et qui n’en avaient rien à foutre d’aller taper sur une autre ethnie, en l’occurrence les Tutsis. Cela n’aurait rien changé à leur vie, ils avaient de l’argent, ils avaient de quoi vivre correctement. Ils ne l’ont pas fait, ils sont rentrés dans l’engrenage… Quelle serait ma réaction si j’étais dans les mêmes circonstances, si par exemple, l’extrême droite prenait le pouvoir ?
Justement, cette affaire alors que l’extrême
droite nous semblait en perdition, ne contribue-t-elle pas à la replacer sur le
devant de la scène ?
Oui, c’est vrai. Il y a deux interprétations, ou bien cela attise, effectivement ou alors on fait sortir les idées véritables des gens. Le racisme existant à l’état latent, ressort.
Il s’agit là de la réflexion classique
selon laquelle parler du F.N, c’est entrer dans son jeu...
C’est pour cela que j’estime que certes il fallait en parler sans pour autant en faire une affaire nationale.
Le risque est que le FN s’en saisisse pour en faire une publicité. Je me pose tout de même la question : si c’était resté au niveau local, cela aurait-il eu le même effet publicitaire ? Je ne sais pas...
Les mouvements antiracistes se sont eux
aussi mis en valeur...
Oui, heureusement. J’ai été interrogé par radio-beur, une radio parisienne peu connue. Je trouvais ça sympa. Cela veut quand même dire qu’il y a eu une répercussion importante.
Comment va se passer l’appel ?
On refait exactement la même chose qu’à Coutances à la différence qu’on a déjà une base de références du correctionnel. Chaque partie plaidera. On reprend la même chose sans dire nécessairement la même chose. Mais à mon avis, il faut quand même qu’on y soit pour faire entendre notre voix.
Est-ce que vous pensez que la défense va continuer de soutenir M.Pouillot en prétendant que ce qu’il a fait est une bonne chose ?
Oui, je vois mal comment ils changeraient d’arguments.
S’ils étaient intelligents, ils
devraient privilégier les excuses...
Venant du FN, des excuses... ce serait le monde à l’envers!
Cela permettrait pourtant de minimiser la
sanction...
Oui c’est bien ce que je pense. Pourtant, la dernière fois il a tout nié. L’avocat de la défense a même dit qu’il ne fallait pas exagérer, qu’il n’y avait pas beaucoup de telles affaires en France. Il a cité 34 affaires officielles auxquelles il faut en retirer 11 parce qu’elles sont antisémites. Cela signifie que taper sur un juif n’est pas une agression, il le disait clairement. D’un point de vue déontologique, c’est proprement condamnable. Il y a des choses qu’on n’a pas le droit de dire.
Propos recueillis par Olivier Lehoux, Alexandre Henrye et Rudy L'Orphelin.
EPILOGUE
DERNIERE MINUTE...
Notre dossier était à peine terminé que nous apprenions la date du procès en appel, le lundi 19 février. Au palais de justice, les forces de l'ordre nous ont accueilli chaleureusement en nous invitant à rester dehors. Plusieurs mouvements antiracistes étaient présents et ont chauffé la centaine de manifestants à coup de chants partisans. Toujours est-il que les décisions prises sont plutôt positives puisque M. Pouillot a écopé de trois à quatre mois de prison ferme contre deux en première instance. Le jugement a été mis en délibéré pour fin mars. On attend le résultat avec confiance !
Nous remercions Maître Losq et Abdel El Ouardi de nous avoir accordé un peu de leur temps pour ces entretiens